mardi 29 mars 2011

Natalie Dessay à Arsenal, 29/03/11


Au cours d'un voyage de presse avec l'Orchestre National de Lorraine qui donnait un concert à l'Opéra Royal de Versailles le 27 mars 2011, j'ai rencontré, avec l'amicale complicité d'Alicia Hiblot (Mirabelle TV), la chanteuse Natalie Dessay qui y exerçait son art en compagnie de son époux, le baryton Laurent Naouri.

Tous les couples lyriques ne se produisent pas ensemble sur scène. C'est même assez rare pour les époux Dessay-Naouri, parents de deux enfants : ils préfèrent  alterner leur présence auprès d'eux qu'enchaîner les contrats communs.

Trac

C'est une jeune femme tendue, fatiguée que nous retrouvons dans sa loge, juste après le raccord et une heure avant le début du concert. Elle est déjà en costume de scène : un jupon à volants rose fuchsia que recouvre partiellement une robe de satin noire. La diva a le trac, toujours. De plus, elle revient de New York où elle jouait  Lucia Di Lamermoor. La soprano souffre encore du jet lag. Elle n'aime pas les photos: celle que je prends d'elle devant son miroir restera dans mon appareil, je promets de ne pas m'en servir. Elle vérifie son image dans l'écran de contrôle de la caméra. La lumière ne convient pas, trop blanche. Il faut  déplacer le fauteuil, fermer puis rouvrir les volets, éteindre puis rallumer la lumière... On trouve finalement un compromis, l'interview peut démarrer. On parle de trac, tout à trac. Les yeux verts s'apaisent, puis sourient. Pas de technique d'entretien particulier pour l'instrument de travail de la chanteuse, son corps. Tel Churchill, elle s'exclame : « Sport ? No ! Never ! » en anglais dans le texte. Mais elle ne serait pas contre le yoga qui l'aiderait à avoir moins mal au dos, surtout depuis qu'elle a commencé l'équitation.

Deux bonnes raisons

Natalie Dessay n'aime pas les concerts. Ce qu'elle aime, c'est l'opéra, jouer la comédie, susciter des émotions non seulement par sa virtuosité de cantatrice, à propos de laquelle les critiques ont parlé de « pyrotechnie vocale », mais aussi par son jeu, ses déplacements, l'incarnation sincère de ses personnages. Dimanche à Versailles, c'est pourtant un concert qu'elle donnait sous la direction de Jacques Mercier.
Il faut toujours au moins une bonne raison pour convaincre la cantatrice de chanter  debout à côté d'un chef, avec pour seul instrument de transmission émotionnelle sa voix. Cette fois, elle a deux bonnes raisons de faire ce concert, qui sera réitéré demain, mardi 29 mars, à l'Arsenal :
non seulement elle y retrouve le chef de l'O.N.L. qui l'a fortement aidée à percer dans le domaine lyrique, dans les années 90, alors qu'elle n'était pas du tout connue, mais encore elle y chante avec son partenaire de vie à la ville, Laurent Naouri.

Et la musique, dans tout ça ?

En écouter à la maison ? Jamais ! Quelle horreur. Ou alors Bach ou encore du jazz qu'elle ne peut pas non plus interpréter : sa voix est trop fluette. Elle se dit avant tout interprète, pas créatrice, car elle ne sait pas improviser.
Mais l'heure tourne, nous nous retirons pour laisser se reposer la dame à la voix soi disant « petite », l'enchantement sera au rendez-vous, sous les ors de l'Opéra royal de Versailles.

Programme

Ses rôles rêvés ? Salomé de Richard Strauss et Lady MacBeth de G. Verdi. Ce ne seront que des rêves, car elle n'a pas la voix pour :
Au programme de ce soir : l'ouverture du Carnaval Romain de Berlioz, des extraits de Hamlet d'Ambroise Thomas, né à Metz, et en 2è partie l'ouverture de la Force du destin de Verdi et des extraits de La Traviata, l'un des rôles préférés de Natalie Dessay à l'opéra. Je ne dévoilerai pas le « bis »: à vous d'applaudir suffisamment fort et longtemps les musiciens et les chanteurs pour y avoir droit ! 

Figaro, 28/03/11, Dessay/Naouri

Natalie Dessay et Laurent Naouri : scène de ménage



INTERVIEW - La soprano et le bariton donnent dimanche un récital à l'Opéra royal de Versailles. Ils ont accordé au «Figaro» leur première interview en duo.  


Couple à la ville plus qu'à la scène, la soprano Natalie Dessay et le baryton Laurent Naouri vivent ensemble depuis plus de vingt ans. Ils chantent dimanche un récital en duo à l'Opéra de Versailles, avec de larges extraits d'Hamlet et de La Traviata. On les retrouvera aussi dans Pelléas et Mélisande, au Théâtre des Champs-Élysées, en avril. 

LE FIGARO. - Pourquoi avez-vous si peu chanté ensemble ?
Natalie DESSAY. - Parce qu'on ne s'appelle par Roberto et Angela (Alagna et Gheorghiu, NDLR)! (Rires.) Sans plaisanter, parce que nous avons peu de répertoire en commun. Si Laurent avait été ténor, cela aurait été plus simple: le répertoire pour ténor et soprano est si vaste.
Laurent NAOURI. - Nous n'avons jamais beaucoup insisté, parce que ça ne nous semblait pas éthiquement acceptable.

«Éthiquement acceptable»?
N. D. - Nous n'avons jamais voulu imposer aux maisons d'opéra un package, parce que nous n'en sommes pas un. Il faut que le choix vienne spontanément.

Il y avait peut-être aussi la question des enfants?
L. N. - Bien sûr. Jusqu'ici les enfants étaient petits. Il fallait donc alterner les absences. On nous a par exemple proposé Les Contes d'Hoffmann en 2013 à San Francisco, mais je resterai à la maison car notre fils passera alors son bac.

Comment être à la fois nomade et parents?
N. D. - Certains collègues ont toujours emmené leurs enfants avec eux. Nous avons privilégié la stabilité, car nous ne voulions pas les priver de vie sociale en en faisant des enfants de la balle.

Vos enfants aiment-ils la musique?
N. D. - Un peu contre leur gré, disons…
L. N. - On n'a pas non plus cherché à les mettre dedans. Je pense qu'on ne les a pas dégoûtés, on leur a ouvert une porte. Ensuite, il faut que ça soit naturel.
N. D. - Notre fille aime bien chanter… mais c'est plus Lady Gaga!
L. N. - À chacun sa diva…

Dans un couple de chanteurs, comment s'écoute-t-on?
L. N. - Assez bien, je crois. On a des intuitions que les autres ne voient pas. Mais ce sont plus des conseils de chanteur à chanteur que de prof de chant.
N. D. - On se connaît vraiment. Nous savons tous deux que notre chant doit être dominé par le mental. Tout doit toujours être conscient, car le laisser-aller, en terme de chant, c'est la mort!

Jamais de lâcher-prise?
N. D. - Ah si, mais uniquement dans l'émotion!

Y a-t-il des moments où vous aviez le sentiment que vos carrières réciproques vous éloignaient l'un de l'autre?
L. N. - J'ai commencé ma carrière avec un déficit dans l'aigu, donc on pensait que j'étais basse ou baryton basse. J'étais le seul à deviner que j'étais baryton. Avec le travail et les années, ma voix s'est ouverte dans le haut. Nos carrières ne se sont donc pas développées au même rythme. Celle de Natalie a démarré beaucoup plus vite.
N. D. - Mais c'est un déséquilibre que Laurent a très bien géré, alors que c'est une situation qui peut-être plus difficile pour un homme.

Cela engendre-t-il des frustrations?
L. N. - Non. Mais disons qu'il était parfois agaçant d'être considéré en France comme l'éternel Golaud ramiste (interprète de Golaud dans Pelléas, ainsi que des opéras de Rameau, NDLR) avec un petit coup de Contes d'Hoffmann. Il a fallu que j'aille aux États-Unis pour faire vraiment des rôles italiens.

Arrive-t-il que l'un dise à l'autre: «Fais attention, tu prends trop de risque!»
N. D. - Je ne me permettrais pas de le dire, car je suis très respectueuse de la liberté de chacun.
L. N. - Il m'est arrivé de penser: «Ah, là, c'est un risque!», mais je me dois de la soutenir. Disons qu'on s'en parle comme des collègues, mais nous n'avons pas d'emprise absolue l'un sur l'autre. On s'écoute, on se conseille. C'est un échange. On ne s'est pas fait une «charte de communication».
N. D. - L'idée est de supporter l'autre… au sens anglo-saxon du terme.

Quel est le rôle d'opéra que vous préférez pour l'autre?
N. D. - Moi, c'est un rôle dans lequel je ne l'ai pas encore vu: Iago, dans Otello, de Verdi. J'aime les méchants, les bad boys! Il faut être subtil. Je sais que Laurent ferait un traître d'anthologie.
L. N. - Là où Natalie m'a le plus subjugué, c'est dans Lucia di Lamermoor. C'est un rôle qu'elle estampille d'un timbre quasi-indélébile. Je me souviens d'une répétition au Met: il y avait très peu de monde, j'étais dans la salle, j'ai entendu ça et l'émotion m'a pris. Je me suis dit que je ne pourrais jamais entendre personne d'autre dans ce rôle…

Et y a-t-il un rôle où vous n'aimez pas voir l'autre?
N. D. - Une fois de plus, je parle au conditionnel: il y a un rôle dans lequel je ne l'aurais jamais aimé, c'est Pizarro, dans Fidelio, de Beethoven. Je déteste cet opéra!
L. N. - Je n'ai pas de souvenir de quelque chose que je n'aurais pas aimé. En revanche, je suis content qu'elle ait décidé de ne pas chanter Blanche de la Force dans Dialogue des carmélites, à l'automne, à Nice. Pour une question de planning, ça n'aurait pas été raisonnable.
N. D. - C'est vrai. Je m'apprêtais à enchaîner avec Cléopâtre dans le Jules César de Händel.

Quand on chante à deux, comment oublie-t-on la ville pour la scène?
N. D. - On ne se pose même pas la question. Sauf peut-être dans le duo de la mouche d' Orphée aux Enfers (où Laurent Naouri, déguisé en insecte géant, butine Eurydice-Dessay sur un canapé. NDLR). Lorsqu'on a commencé à le répéter en scène, j'ai été gêné pour la première fois de ma vie. Ça m'a semblé presque impudique, parce qu'on était un couple à la ville.
L. N. - C'était genre «Welcome in ourbedroom!»

Vous est-il arrivé de penser à tout arrêter, ensemble?
N. D. - Ah, sûrement pas! Moi, je parle d'arrêter tous les deux jours… et ça fait dix ans que ça dure! Et je rêve d'un haras pour vieux chevaux. Si on arrête tous les deux, qui va le payer?
L. N. - Tu ne veux pas le faire aussi pour vieux ténors?
N. D.- Non, non! Je préfère les chevaux: au moins, ils ne chantent pas!


Récital à l'Opéra de Versailles , dimanche 27 mars à 17 heures. Rés.: 01 30 83 78 89. Pelléas et Mélisande au Théâtre des Champs-Élysées, les 15 et 17 avril.

Par Nicolas d'Estienne d'Orves

mardi 22 mars 2011

Cleopatra, resmusica, 22/02/11


Il n’y a pas très longtemps encore, un disque comme ce « Cléopatra » n’aurait pas existé. Une diva telle que Natalie Dessay aurait, bien sûr, immortalisé sa Cléopâtre dans le cadre d’une intégrale. Aujourd’hui, elle doit se contenter de nous présenter les grands airs du rôle auxquels s’ajoutent quelques pièces orchestrales, deux airs alternatifs (jamais enregistrés d’ailleurs) ainsi que le duo final avec (quel luxe !) la formidable Sonia Prina dans le rôle de Cesare. Tempora mutantur 

     Et pourtant, soyons contents que cet album existe, car Dessay s’y montre en grande forme vocale. Le timbre est toujours aussi cristallin, les vocalises – superbes ornementations dans les da capo – sont parfaites et le contrôle du vibrato force le respect. Habilement, elle négocie certains passages un peu graves pour elle, nous gratifiant, par ailleurs, de superbes sons filés dans l’aigu. Notons néanmoins la quasi-absence d’extrapolations vers le suraigu. Stylistiquement sans failles, elle joue avec les couleurs de la voix l’adaptant soigneusement aux différents instruments obligés accompagnant ses airs. 

     Un peu trop peut-être ? A vrai dire, l’interprète nous semble parfois un rien trop contrôlée. Là où une Petibon a tendance à surjouer, Natalie Dessay reste un peu trop sur la réserve. Convaincante dans les airs pétillants du début, mais également dans le séduisant « V’adoro pupille », son « Da tempeste » manque un peu de folie. Et « Piangerò » du dernier abandon. 

     Mais ne boudons pas notre plaisir : « Cleopatra » est un disque que l’on écoute avec grand plaisir – grâce également à la prestation sublime du Concert d’Astrée sous la baguette animée et variée d’Emmanuelle Haïm. 

dimanche 13 mars 2011

06/03/11 Ouest France: Cleopatra

Avec Cléopâtre, rôle féminin de Giulo Cesare de Georg Friedrich Haendel, la grande Natalie Dessay relève un nouveau défi vocal et artistique, à la hauteur de son talent et de son charisme. Dans un magnifique enregistrement, elle interprète des airs de la mythique reine d'Égypte, toute en complicité avec Emmanuelle Haïm et le Concert d'Astrée. Sa voix sensuelle et dramatique incarne toute la sensibilité et la complexité de son héroïne. Tour à tour manipulatrice, séductrice et désespérée, la soprano française nous invite à découvrir toute la beauté de ce chef-d'oeuvre baroque. 
Vincent Cressard