mardi 29 mars 2011

Natalie Dessay à Arsenal, 29/03/11


Au cours d'un voyage de presse avec l'Orchestre National de Lorraine qui donnait un concert à l'Opéra Royal de Versailles le 27 mars 2011, j'ai rencontré, avec l'amicale complicité d'Alicia Hiblot (Mirabelle TV), la chanteuse Natalie Dessay qui y exerçait son art en compagnie de son époux, le baryton Laurent Naouri.

Tous les couples lyriques ne se produisent pas ensemble sur scène. C'est même assez rare pour les époux Dessay-Naouri, parents de deux enfants : ils préfèrent  alterner leur présence auprès d'eux qu'enchaîner les contrats communs.

Trac

C'est une jeune femme tendue, fatiguée que nous retrouvons dans sa loge, juste après le raccord et une heure avant le début du concert. Elle est déjà en costume de scène : un jupon à volants rose fuchsia que recouvre partiellement une robe de satin noire. La diva a le trac, toujours. De plus, elle revient de New York où elle jouait  Lucia Di Lamermoor. La soprano souffre encore du jet lag. Elle n'aime pas les photos: celle que je prends d'elle devant son miroir restera dans mon appareil, je promets de ne pas m'en servir. Elle vérifie son image dans l'écran de contrôle de la caméra. La lumière ne convient pas, trop blanche. Il faut  déplacer le fauteuil, fermer puis rouvrir les volets, éteindre puis rallumer la lumière... On trouve finalement un compromis, l'interview peut démarrer. On parle de trac, tout à trac. Les yeux verts s'apaisent, puis sourient. Pas de technique d'entretien particulier pour l'instrument de travail de la chanteuse, son corps. Tel Churchill, elle s'exclame : « Sport ? No ! Never ! » en anglais dans le texte. Mais elle ne serait pas contre le yoga qui l'aiderait à avoir moins mal au dos, surtout depuis qu'elle a commencé l'équitation.

Deux bonnes raisons

Natalie Dessay n'aime pas les concerts. Ce qu'elle aime, c'est l'opéra, jouer la comédie, susciter des émotions non seulement par sa virtuosité de cantatrice, à propos de laquelle les critiques ont parlé de « pyrotechnie vocale », mais aussi par son jeu, ses déplacements, l'incarnation sincère de ses personnages. Dimanche à Versailles, c'est pourtant un concert qu'elle donnait sous la direction de Jacques Mercier.
Il faut toujours au moins une bonne raison pour convaincre la cantatrice de chanter  debout à côté d'un chef, avec pour seul instrument de transmission émotionnelle sa voix. Cette fois, elle a deux bonnes raisons de faire ce concert, qui sera réitéré demain, mardi 29 mars, à l'Arsenal :
non seulement elle y retrouve le chef de l'O.N.L. qui l'a fortement aidée à percer dans le domaine lyrique, dans les années 90, alors qu'elle n'était pas du tout connue, mais encore elle y chante avec son partenaire de vie à la ville, Laurent Naouri.

Et la musique, dans tout ça ?

En écouter à la maison ? Jamais ! Quelle horreur. Ou alors Bach ou encore du jazz qu'elle ne peut pas non plus interpréter : sa voix est trop fluette. Elle se dit avant tout interprète, pas créatrice, car elle ne sait pas improviser.
Mais l'heure tourne, nous nous retirons pour laisser se reposer la dame à la voix soi disant « petite », l'enchantement sera au rendez-vous, sous les ors de l'Opéra royal de Versailles.

Programme

Ses rôles rêvés ? Salomé de Richard Strauss et Lady MacBeth de G. Verdi. Ce ne seront que des rêves, car elle n'a pas la voix pour :
Au programme de ce soir : l'ouverture du Carnaval Romain de Berlioz, des extraits de Hamlet d'Ambroise Thomas, né à Metz, et en 2è partie l'ouverture de la Force du destin de Verdi et des extraits de La Traviata, l'un des rôles préférés de Natalie Dessay à l'opéra. Je ne dévoilerai pas le « bis »: à vous d'applaudir suffisamment fort et longtemps les musiciens et les chanteurs pour y avoir droit ! 

Figaro, 28/03/11, Dessay/Naouri

Natalie Dessay et Laurent Naouri : scène de ménage



INTERVIEW - La soprano et le bariton donnent dimanche un récital à l'Opéra royal de Versailles. Ils ont accordé au «Figaro» leur première interview en duo.  


Couple à la ville plus qu'à la scène, la soprano Natalie Dessay et le baryton Laurent Naouri vivent ensemble depuis plus de vingt ans. Ils chantent dimanche un récital en duo à l'Opéra de Versailles, avec de larges extraits d'Hamlet et de La Traviata. On les retrouvera aussi dans Pelléas et Mélisande, au Théâtre des Champs-Élysées, en avril. 

LE FIGARO. - Pourquoi avez-vous si peu chanté ensemble ?
Natalie DESSAY. - Parce qu'on ne s'appelle par Roberto et Angela (Alagna et Gheorghiu, NDLR)! (Rires.) Sans plaisanter, parce que nous avons peu de répertoire en commun. Si Laurent avait été ténor, cela aurait été plus simple: le répertoire pour ténor et soprano est si vaste.
Laurent NAOURI. - Nous n'avons jamais beaucoup insisté, parce que ça ne nous semblait pas éthiquement acceptable.

«Éthiquement acceptable»?
N. D. - Nous n'avons jamais voulu imposer aux maisons d'opéra un package, parce que nous n'en sommes pas un. Il faut que le choix vienne spontanément.

Il y avait peut-être aussi la question des enfants?
L. N. - Bien sûr. Jusqu'ici les enfants étaient petits. Il fallait donc alterner les absences. On nous a par exemple proposé Les Contes d'Hoffmann en 2013 à San Francisco, mais je resterai à la maison car notre fils passera alors son bac.

Comment être à la fois nomade et parents?
N. D. - Certains collègues ont toujours emmené leurs enfants avec eux. Nous avons privilégié la stabilité, car nous ne voulions pas les priver de vie sociale en en faisant des enfants de la balle.

Vos enfants aiment-ils la musique?
N. D. - Un peu contre leur gré, disons…
L. N. - On n'a pas non plus cherché à les mettre dedans. Je pense qu'on ne les a pas dégoûtés, on leur a ouvert une porte. Ensuite, il faut que ça soit naturel.
N. D. - Notre fille aime bien chanter… mais c'est plus Lady Gaga!
L. N. - À chacun sa diva…

Dans un couple de chanteurs, comment s'écoute-t-on?
L. N. - Assez bien, je crois. On a des intuitions que les autres ne voient pas. Mais ce sont plus des conseils de chanteur à chanteur que de prof de chant.
N. D. - On se connaît vraiment. Nous savons tous deux que notre chant doit être dominé par le mental. Tout doit toujours être conscient, car le laisser-aller, en terme de chant, c'est la mort!

Jamais de lâcher-prise?
N. D. - Ah si, mais uniquement dans l'émotion!

Y a-t-il des moments où vous aviez le sentiment que vos carrières réciproques vous éloignaient l'un de l'autre?
L. N. - J'ai commencé ma carrière avec un déficit dans l'aigu, donc on pensait que j'étais basse ou baryton basse. J'étais le seul à deviner que j'étais baryton. Avec le travail et les années, ma voix s'est ouverte dans le haut. Nos carrières ne se sont donc pas développées au même rythme. Celle de Natalie a démarré beaucoup plus vite.
N. D. - Mais c'est un déséquilibre que Laurent a très bien géré, alors que c'est une situation qui peut-être plus difficile pour un homme.

Cela engendre-t-il des frustrations?
L. N. - Non. Mais disons qu'il était parfois agaçant d'être considéré en France comme l'éternel Golaud ramiste (interprète de Golaud dans Pelléas, ainsi que des opéras de Rameau, NDLR) avec un petit coup de Contes d'Hoffmann. Il a fallu que j'aille aux États-Unis pour faire vraiment des rôles italiens.

Arrive-t-il que l'un dise à l'autre: «Fais attention, tu prends trop de risque!»
N. D. - Je ne me permettrais pas de le dire, car je suis très respectueuse de la liberté de chacun.
L. N. - Il m'est arrivé de penser: «Ah, là, c'est un risque!», mais je me dois de la soutenir. Disons qu'on s'en parle comme des collègues, mais nous n'avons pas d'emprise absolue l'un sur l'autre. On s'écoute, on se conseille. C'est un échange. On ne s'est pas fait une «charte de communication».
N. D. - L'idée est de supporter l'autre… au sens anglo-saxon du terme.

Quel est le rôle d'opéra que vous préférez pour l'autre?
N. D. - Moi, c'est un rôle dans lequel je ne l'ai pas encore vu: Iago, dans Otello, de Verdi. J'aime les méchants, les bad boys! Il faut être subtil. Je sais que Laurent ferait un traître d'anthologie.
L. N. - Là où Natalie m'a le plus subjugué, c'est dans Lucia di Lamermoor. C'est un rôle qu'elle estampille d'un timbre quasi-indélébile. Je me souviens d'une répétition au Met: il y avait très peu de monde, j'étais dans la salle, j'ai entendu ça et l'émotion m'a pris. Je me suis dit que je ne pourrais jamais entendre personne d'autre dans ce rôle…

Et y a-t-il un rôle où vous n'aimez pas voir l'autre?
N. D. - Une fois de plus, je parle au conditionnel: il y a un rôle dans lequel je ne l'aurais jamais aimé, c'est Pizarro, dans Fidelio, de Beethoven. Je déteste cet opéra!
L. N. - Je n'ai pas de souvenir de quelque chose que je n'aurais pas aimé. En revanche, je suis content qu'elle ait décidé de ne pas chanter Blanche de la Force dans Dialogue des carmélites, à l'automne, à Nice. Pour une question de planning, ça n'aurait pas été raisonnable.
N. D. - C'est vrai. Je m'apprêtais à enchaîner avec Cléopâtre dans le Jules César de Händel.

Quand on chante à deux, comment oublie-t-on la ville pour la scène?
N. D. - On ne se pose même pas la question. Sauf peut-être dans le duo de la mouche d' Orphée aux Enfers (où Laurent Naouri, déguisé en insecte géant, butine Eurydice-Dessay sur un canapé. NDLR). Lorsqu'on a commencé à le répéter en scène, j'ai été gêné pour la première fois de ma vie. Ça m'a semblé presque impudique, parce qu'on était un couple à la ville.
L. N. - C'était genre «Welcome in ourbedroom!»

Vous est-il arrivé de penser à tout arrêter, ensemble?
N. D. - Ah, sûrement pas! Moi, je parle d'arrêter tous les deux jours… et ça fait dix ans que ça dure! Et je rêve d'un haras pour vieux chevaux. Si on arrête tous les deux, qui va le payer?
L. N. - Tu ne veux pas le faire aussi pour vieux ténors?
N. D.- Non, non! Je préfère les chevaux: au moins, ils ne chantent pas!


Récital à l'Opéra de Versailles , dimanche 27 mars à 17 heures. Rés.: 01 30 83 78 89. Pelléas et Mélisande au Théâtre des Champs-Élysées, les 15 et 17 avril.

Par Nicolas d'Estienne d'Orves

mardi 22 mars 2011

Cleopatra, resmusica, 22/02/11


Il n’y a pas très longtemps encore, un disque comme ce « Cléopatra » n’aurait pas existé. Une diva telle que Natalie Dessay aurait, bien sûr, immortalisé sa Cléopâtre dans le cadre d’une intégrale. Aujourd’hui, elle doit se contenter de nous présenter les grands airs du rôle auxquels s’ajoutent quelques pièces orchestrales, deux airs alternatifs (jamais enregistrés d’ailleurs) ainsi que le duo final avec (quel luxe !) la formidable Sonia Prina dans le rôle de Cesare. Tempora mutantur 

     Et pourtant, soyons contents que cet album existe, car Dessay s’y montre en grande forme vocale. Le timbre est toujours aussi cristallin, les vocalises – superbes ornementations dans les da capo – sont parfaites et le contrôle du vibrato force le respect. Habilement, elle négocie certains passages un peu graves pour elle, nous gratifiant, par ailleurs, de superbes sons filés dans l’aigu. Notons néanmoins la quasi-absence d’extrapolations vers le suraigu. Stylistiquement sans failles, elle joue avec les couleurs de la voix l’adaptant soigneusement aux différents instruments obligés accompagnant ses airs. 

     Un peu trop peut-être ? A vrai dire, l’interprète nous semble parfois un rien trop contrôlée. Là où une Petibon a tendance à surjouer, Natalie Dessay reste un peu trop sur la réserve. Convaincante dans les airs pétillants du début, mais également dans le séduisant « V’adoro pupille », son « Da tempeste » manque un peu de folie. Et « Piangerò » du dernier abandon. 

     Mais ne boudons pas notre plaisir : « Cleopatra » est un disque que l’on écoute avec grand plaisir – grâce également à la prestation sublime du Concert d’Astrée sous la baguette animée et variée d’Emmanuelle Haïm. 

dimanche 13 mars 2011

06/03/11 Ouest France: Cleopatra

Avec Cléopâtre, rôle féminin de Giulo Cesare de Georg Friedrich Haendel, la grande Natalie Dessay relève un nouveau défi vocal et artistique, à la hauteur de son talent et de son charisme. Dans un magnifique enregistrement, elle interprète des airs de la mythique reine d'Égypte, toute en complicité avec Emmanuelle Haïm et le Concert d'Astrée. Sa voix sensuelle et dramatique incarne toute la sensibilité et la complexité de son héroïne. Tour à tour manipulatrice, séductrice et désespérée, la soprano française nous invite à découvrir toute la beauté de ce chef-d'oeuvre baroque. 
Vincent Cressard


vendredi 4 février 2011

G.Cesare: L'Humanité, 28/01/11



Beau succès 
à l’Opéra Garnier, à Paris, de l’opéra Giulio Cesare 
de Haendel avec Natalie Dessay dans le rôle de la reine d’Égypte. Débat autour de la mise en scène.
Nous n’en sommes pas encore aux amours de Marc-Antoine et de la reine d’Égypte, qui ne seraient peut-être pas grand-chose sans Liz Taylor et Burton dans le film de Mankiewicz, mais tout juste au début des aventures de Cléopâtre, soit donc sa rencontre avec Jules César, sa prise du pouvoir et l’élimination de son frère Ptolémée, lequel a voulu lui-même écarter sa sœurette et liquider son Jules. L’opéra de Haendel, composé en 1724, nous conte donc l’affaire par le menu, chacun des personnages défilant à son tour pour tenir sa partie, ce qui donne donc pendant trois bonnes heures une suite rare de récitatifs, applaudis comme il se doit et particulièrement quand il s’agit d’une star comme Natalie Dessay, en séductrice, dont les voiles ne font que dévoiler les charmes.

Juste et authentique
Les autres premiers rôles ne sont pas en reste, quand bien même le goût de l’époque allait aux voix de castrats, laissant aux seconds rôles des registres vocaux plus vulgaires, traduits ici en voix de contre-ténors pour César (Giulio Cesare – Lawrence Zazzo) et Ptolémée (Toléméo – Christophe Dumaux). On aura remarqué sinon Isabel Leonard dans les personnages de Sesto (fils de Pompée que Ptolémée a fait assassiner), juste et authentique, sans effets inutiles, et de Cornelia (veuve de Pompée), pour son timbre. Le tout avec à la direction d’orchestre Emmanuelle Haïm assurée, rompue au baroque avec son Concert d’Astrée.
On pourrait en rester là, ce qui est une option, mais qui implique de ne pas répondre à une seule question. Que nous disent aujourd’hui les amours de César et de Cléopâtre ? À cela, semble-t-il, avec tout son savoir-faire, Laurent Pelly a choisi de ne pas répondre. L’idée de faire évoluer les personnages dans les réserves d’antiquités d’un grand musée, qui pourrait être le Louvre, est d’emblée séduisante mais n’a pas convaincu. Elle tourne court et parfois trop vite, jusqu’à détourner l’attention à certains moments des personnages. Or le problème est là.

La vérité de Haendel
S’il y a un sens dans cet opéra, il ne peut être que dans ce qui a été écrit par Haendel et par son librettiste, et c’est ce à quoi il faut donner une véritable chair. Des astuces de jeu, flirtant parfois avec la BD, n’y suffisent pas. Que faire, alors ? Peut-être tenter de retrouver la vérité de Haendel en son temps et ce que disaient, aux spectateurs du XVIIIe siècle, les amours des princes, leur soif de pouvoir, leurs conspirations et leurs artifices. Il ne s’agit en rien d’en tenir, d’une façon figée, pour la tradition mais de chercher l’authenticité dramatique dans les problèmes du temps, de même qu’il faut, pour comprendre qu’il se passe quelque chose dans un tableau de Poussin ou de David, approcher ce qu’ils ont dit en leur temps et avec les moyens de son temps. Ce ne semble, sinon, que de la peinture d’histoire, même si on en rafraîchit les couleurs. De ce point de vue, les quelques scènes où Laurent Pelly, pratiquant le mélange des siècles, fait apparaître des personnages en costumes du XVIIIe siècle semblent les plus vraies et, partant, les plus modernes, ce qui semble la direction la plus pertinente.
Maurice Ulrich

G.Cesare - Forum Opera,30/01/11





La prise de rôle de Natalie Dessay en Cleopatra à l’Opéra de Paris suscite intérêt, rumeurs, et jugements tous azimuts. Impossible d’y échapper. Ici même, la « brève » faisant état des premières impressions suscitées par la performance de la soprano et par la mise en scène conçue pour elle par Monsieur Pelly a battu tous les records de lecture. Il est vrai qu’elle était agrémentée d’une photographie où Natalie Dessay, grimée façon Elizabeth Taylor, dévoilait sous une tunique transparente la forme d’un sein au rouge tétin – en réalité une habile combinaison de théâtre. De toutes ces titillations, le présent disque n’est pas la moindre. Les radios à grande écoute diffusent, ô merveille, les langueurs égyptiennes de notre nationale soprano au beau milieu des clameurs cairotes hostiles à Moubarak. Etrange rencontre. Il aura même fallu que le rocambolesque s’en mêle avec lors des soirées parisiennes un air planté, puis hardiment repris, plus replanté, suivi d’une série d’annulations frustrant le public, avant certainement un retour triomphal pour la représentation filmée par la télévision. Sic transit.

C’est dire que l’audition de ce disque doit faire bien des efforts pour être indifférente tout à fait au battage qui l’entoure, et par surcroît pour ignorer avec la superbe qui convient l’avalanche d’amers reproches dont il fait l’objet. Car de tous côtés cet enregistrement reçoit force tomates bien mûres et lazzis peu amènes.

C’est pourtant là un des très bons disques de Natalie Dessay. L’affect y est constamment juste, et la voix distille d’indéniables beautés. Il serait fastidieux de détailler ces phrases où le timbre se charge d’une luminosité délicate et où le souffle vient épouser avec une délicatesse de touche parfaite la courbe haut tenue de la phrase (par exemple, dans la fin de Se pietà ou dans Piangero’).

Si l’on craignait que la voix de Natalie Dessay ne fût devenue un rien terne ou ligneuse, nous voici rassurés : on retrouve même dans le haut médium une qualité neuve, faite de vibration phosphorescente - pour ne pas dire de squillo gruberovien -, qui convient à ce répertoire.

Et puis, c’est un disque de musicienne. Mieux : de musiciennes. Avec Emmanuel Haïm, l’entente n’est pas seulement d’intentions, mais de phrasé, et même de couleur. Le caractère proprement instrumental de la voix de Dessay se mire avec bonheur dans le miroir tendu par Le Concert d’Astrée. C’est tout le mérite d’un Da tempeste décevant pour les puristes de la vocalise mais particulièrement convaincant si l’on s’attache à la suggestion orchestrale et aux échanges de couleurs entre voix et orchestre. Pour le dire comme Haendel : rejoyce !

Certes, on voit bien ce que les détracteurs de cet enregistrement détractent : un timbre moins riche que celui des semi-mezzos habituées du rôle, une prononciation de l’italien dépourvue de toute saveur méridionale, une technique de vocalisation parfois un peu approximative ou moins virtuose que celle des spécialistes patentées du rôle… Et alors ? De toutes les artistes lyriques, Natalie Dessay est sans doute la plus consciente des limites de répertoire que lui imposent son timbre et sa vocalité. Pour elle, toute prise de rôle allant au-delà de Zerbinette ressemble déjà à une transgression. Faut-il dès lors systématiquement lui envoyer la patrouille avec l’ardeur que mettent les services de police à détecter l’immigré clandestin ? Nous savons bien que ce répertoire n’est pas plus le sien que ne l’est au fond le bel canto bellinien et plus encore le romantisme verdien.

Seulement, Natalie Dessay estime avoir dans l’expression du drame et dans l’incarnation des personnages des atouts dont ne disposent pas les orthodoxes tromblons aux vocalises kilométriques. Peut-on lui en vouloir ? Sa caution ici, c’est la rigueur baroque et l’évidence esthétique qu’Emmanuelle Haïm apporte à Haendel. Le reste est expérimentation natalienne, avec ses hauts et ses bas, les moments où elle rend des points à la concurrence et ceux où elle doit céder face aux comparaisons.

Oui, c’est un très bon disque de Natalie Dessay. Un bon disque Haendel, c’est moins certain. Mais là n’est pas le propos, n’est-ce pas ?
Sylvain Fort
 

samedi 22 janvier 2011

Cléopâtra: Classiquenews.com, 20/01/11

Elle est Cléopâtre sur la scène du Palais Garnier jusqu'au 7 février 2011 (la production présentée sur la scène parisienne poursuit ses représentations jusqu'au 17 février mais c'est après Natalie Dessay, Jane Archibald, star en devenir qui reprend le défi). Pour tous ceux qui ont assisté et applaudi les représentation de Giulio Cesare in Egitto de Haendel, la "Dessay' s'affirme par son chien et son tempérament: une évidente facilité scénique qui campe de Cléopâtre, une incarnation assez époustouflante, soulignant, et la coquette hyperféminine dominatrice infantilisant son frère Ptolomée, véritable sirène séductrice, et la femme profonde et sereine qui sincèrement éprise de César n'a de cesse que de protéger et faire triompher cet amour conquérant, ne cachant rien de sa profondeur nostalgique ni de son caractère langoureux. Haendel n'a pas dans toute sa carrière approfondi de rôle, avec autant de diversité et d'empathie.  







Dessay l'égyptienne

Du reste, dans l'opéra galant de Haendel (1724) où le genre seria est sous la plume du Saxon, régénéré par un nouveau souffle sentimental et amoureux, la diva hier superbe Donizettienne (il chanta Lucia di Lammermoor à New York avec le succès que l'on sait) impose à Paris, un bel canto sidérant en intensité et en investissement. De surcroît dans la mise en scène de Pelly, Giulio Cesare est bien l'opéra de Cléopâtre, séductrice amoureuse, plus femme aimante que délurée ambitieuse.
C'est bien la vérité de son jeu et la justesse de sa compréhension du rôle qui distingue Natalie Dessay sur la scène. En diablesse dramatique, jamais à bout d'idées nouvelles ni de défis scéniques, la soprano porte haut les couleurs de l'amour et du désir. Inspirée par Vénus soi même, "La Dessay" n'hésite pas à paraître sur la scène pendant une large partie de l'opéra, en négligé de tulle vaporeux, laissant à loisir deviner des formes d'Aphrodite suractive, associant au chant souverain, une exquise et permanente coloration érotique. Aux arabesques de sa voix acrobatique, l'interprète ajoute une sensualité irrésistible, astucieuse et charmeuse en diable.

Comme sur la scène, Natalie Dessay retrouve au studio sa complice Emmanuelle Haïm (rencontrée en 1999 sur la production d'Alcina... déjà sur les planches de Garnier; mais alors la chef n'était que continuiste pour Christie)dont l'affinité haendélienne ne nous convainc que... partiellement. Si la chef ciselait en couleurs et intonations son orchestre, comme le fait la soprano du texte et des notes, nous aurions obtenu l'excellence. Et d'ailleurs, sa direction à Garnier n'était hélas que routinière, parfois appliquée; jamais malheureusement, frappée par l'urgence ni la grâce. Tous les accents y sont atténués, lissés, sans mordant véritable, et chaque air y est expédié avec une égale intensité.

Nonobstant cette réserve, soulignons le choix des airs retenus par Natalie Dessay qui y fait imploser son agilité coloratoure. Chaque section fait valoir le relief expressif d'une artiste accomplie, offrant de Cléopâtre, les visages complémentaires d'une femme de caractère et d'audace: la séductrice stratège (tutto puo donna vezzosa), la sirène sensuelle et torride (V'adoro pupille), la prisonnière rebelle de son frère (Piangero), soudainement submergée par le tragique de Cornelia, la foudroyée par le sort qui est prête à mourir (Che Sento? O dio !...) mais tout autant la victorieuse aimante qui aime batifoler et conter fleurette en un duo final, piquant et tendre à la fois : Caro! Bella ! (chanté ici avec la contralto Sonia Prina), d'un angélisme superlatif.

Aux airs connus et magnifiquement incarnés par la Dessay, incontestable souveraine chez Haendel, le programme du disque ajoute deux inédits que Haendel avait pourtant souhaités de son vivant: en place de l'actuel Se pietà, le compositeur avait composé Per dar vita, chant ardent d'une amoureuse prête à tout pour sauver et défendre son aimé (Giulio Cesar que l'on pense mort à ce moment de l'action au II). Natalie Dessay en permet la résurrection dans son état originel, car l'air sera ensuite recyclé pour le personnage du jeune Sesto, le fils de la sombre et endeuillée Cornelia. C'est aussi la révélation de Troppo crudeli siete, remplaçant le lamento Piangero la sorte mia, chant sombre d'une Cléopâtre soumise par son frère... aria écarté ensuite réutilisé en partie dans Tamerlano. Profond, grave et d'une immense tendresse, l'air qui est l'une des Siciliennes les plus admirées de Charles Burney au XVIIIè, étonne et saisit par sa vérité. Heureux choix. 


Haendel: Arias pour Cléopâtre (Handel: arias for Cleopatra from Giulio Cesare). Natalie Dessay, soprano. Le Concert d'Astrée. Emmanuelle Haïm, direction.